Mid-winter

Photo #1 : 18/06. Une vue classique, mais dont je ne me lasse décidément pas : l'archipel en direction du nord-ouest.

lundi 28 juin 2010, 22h50.

  Le temps, tel une flèche, semble fendre l'air. Je me sens à tout juste une archée de Circular Quay Station à Sydney dans laquelle j'ai écrit, le 3 décembre dernier, mon dernier billet sur un continent autre que l'Antarctique. Mercredi, notre hivernage reposera en équilibre parfait entre son premier jour et son dénouement. Quelques uns de mes camarades doivent rendre réponse quant à la date de leur retour... J'aime pour ma part l'incertitude qui règne quant à mon propre retour. Les possibles qui s'ouvrent me semblent bien lumineux, en partie parce qu'ils sont totalement incertains, entièrement à naître. J'aime à caresser par la pensée leurs contours, si flous.

Deux semaines sans billet, et pour cause : nous avons été pris la semaine passée dans une sorte de tourbillon : la mid-winter. Qu'est-ce donc me direz-vous ? Et bien, six jours de festivités les plus diverses en plein cœur de notre rude hiver Antarctique. On chante, on danse, on joue (guitare, théâtre, football, cluedo géant et j'en passe), on se déguise, on fait les fous... Le tout dans une ambiance qui, de l'avis général, a été pleinement au rendez-vous ! Durant six jours, nous avons su mettre de côté la routine que nous connaissons depuis des semaines pour nous retrouver en très large majorité autour de ces activités festives, amusantes.

J'ai pour ma part a-do-ré cette parenthèse dans notre séjour Adélien, durant laquelle a régné une atmosphère on ne peut plus bon enfant, qui m'a fait un bien fou et est tombée à point nommé. Une sorte de respiration au moment où nous en avions le plus besoin. A cette occasion, nous avons échangé avec un grand nombre d'anciens hivernants, qui nous ont bien rappelé de profiter autant que possible de ces semaines magiques entourant le solstice. Effectivement, quand le Soleil daigne percer les nuages, quel spectacle ! La semaine précédant la mid, nous avons pu profiter de quelques jours, certes ventés, mais bien dégagés, nous permettant de suivre le Soleil roulant littéralement sur l'horizon.

Le 20, j'ai même pu assister -- nul doute possible -- au plus spectaculaire lever de Soleil qu'il m'ait été donné de voir. Levé tout juste pour voir depuis ma chambre le Soleil émerger de la banquise, j'ai eu l'idée d'abandonner quelques mètres d'altitude. Le Soleil s'élevant tellement lentement, j'ai pu "remonter" son lever et ainsi le voir se recoucher sur l'horizon. Sur la pente douce menant à la Croix Prud'homme, j'ai ainsi pu faire durer les magiques premiers rayons du jour pendant une dizaine de minutes (!!). Au gré de la topographie tourmentée de la banquise, des rayons rouges, jaunes, jaune-vert, verts, bleus et même bleu-violet qui s'allument, s'éteignent, réapparaissent un peu plus loin... Extraordinaire ! J'en pleurais presque de joie, devant ce spectacle qui ne dure habituellement que quelques secondes au mieux, que je chasse depuis des années et qui, ce matin-là s'offrait dans des proportions démesurées, hors de toute norme -- comme le lieu que j'habite, comme l'époque de l'année que nous vivons actuellement.

Côté météo, nous avons été bien servis par le vent et la neige ces quinze derniers jours. Le dégagement des passerelles est chaque fois plus long, plus éprouvant. Depuis ce matin, le vent catabatique frappe de nouveau la base. Tout devient dans ces conditions évidemment plus difficile, si ce n'est carrément impossible. La moindre sortie ou le simple transfert d'un bâtiment à l'autre requiert tout l'équipement du parfait petit Adélien, sous peine d'avoir le visage cinglé par la neige, les bras ou les jambes complètement trempés.

Le mois de juillet, le plus terrible, le plus redoutable de toute l'année météorologique Adélienne, se présente désormais à notre porte. A nous le grand froid et la pleine furie des tempêtes Antarctiques !

Photo #2 : 18/06, 14h20. La base, au coucher de Soleil. De gauche à droite : le bâtiment météo/bureau technique (devant, la petite boîte blanche est la station de mesure météo : température, humidité), le laboratoire "géophy", le dortoir dans le fond, enfin le séjour (plus clair). Au premier plan à droite, l'un des shelters de la cuisine.

Photo #3 : 18/06. 12h25. Le Soleil au plus haut. A noter la coloration orangée de l'air, contenant des particules de neige soulevées par le vent (90 km/h) et reflétant le Soleil.