Jeter l'ancre, un seul jour

Photo #1 : 22/05 : Vue sur la baie, depuis la station D3.

mercredi 26 mai 2010, 10h40.

 La grande marche du temps continue, rectiligne, insensible aux prières des hivernants -- certains souhaitant que les jours s'écoulent un brin plus vite, les autres que le frein dont on nous avait tant parler se fasse enfin sentir pour de bon. Bien que le peu de lumière que nous recevons chaque jour nous donne droit à des soirées objectivement interminables (15h-23h !), je ne trouve toujours pas le temps de faire tout ce que je voudrais faire. : j'ai bien du mal à lire plus de 20-30 pages des Caves du Vatican par semaine (...). Étrange paradoxe qui m'habite : je voudrais enfin prendre mon temps, m'appesantir sur tous les sujets que j'avais prévu d'aborder en venant ici, mais je pense déjà au Soleil, à l'Australie, à l'océan, aux récifs coralliens auxquels nous aurons droit dans les premières semaines de 2011. Nous sommes en effet quelques uns à évoquer dès à présent avec gourmandise l'après-DDU, les vacances, la liberté de vadrouille retrouvée. Dans un mois effectivement, la mid-winter, que nous préparons d'ores et déjà activement, marquera la mi-temps de notre présence sur notre petit caillou.

En attendant, le soitin (mélange de matin et de soir, qui s'entremêlent) nous offre des lumières renversantes, des heures durant. Le Soleil se lève vers 10h40 pour se coucher moins de quatre heures plus tard. Nous bénéficions ainsi de 6 à 7 heures de lumière crépusculaire ou rasante, pendant lesquelles nous sortons autant que la météo le permet. Samedi dernier, nous sommes ainsi retournés sur le continent, à la base Prud'homme et à la station dite D3, 60m plus haut : quelle vue sur la baie ! Je tente de profiter au maximum des quelques rayons du Soleil et du bon air frais -- c'est le cas de le dire : encore -50°C en température ressentie lors de notre balade dimanche (-19°C par 80 km/h de vent).

Nous avons également essuyé deux belles tempêtes de neige, qui nous ont enfin apporté une bonne couche de poudreuse, recouvrant la glace vive sur laquelle nous glissions allègrement. Avec le vent, les congères forment des structures étonnantes, prenant des allures de dune sur la banquise -- très esthétique ! Sur la base, le sport très à la mode reste le pelletage, lutte perdue d'avance contre le vent, nous permettant néanmoins de passer d'un bâtiment à l'autre à "pied sec".

Côté animaux, la diversité s'était effondrée en mars avec le départ d'une immense majorité d'oiseaux. Depuis quelque semaines, la population s'est stabilisée : nous cohabitons avec quelques phoques, deux poussins de pétrels géants, quelques pétrels antarctiques et des neiges. Sans oublier évidemment nos camarades Empereurs par milliers. Ces derniers jours ont été marqués par le départ massif des femelles. Nous avons passé un peu de temps sur la manchotière à observer ce moment critique de la ponte puis de la passation de l'œuf au mâle. Désormais, il ne reste quasiment plus que des mâles couvant leur précieuse progéniture, ainsi que quelques manchots "inemployés" qui restent encore dans les parages, sans réel but.

Voilà donc pour le récit de cette fin mai dans ce cher désert blanc. L'an dernier, je revenais tout juste de mon voyage en Finlande/Norvège, dernière escapade avant l'Antarctique, plein d'images nordiques en tête. Je lisais le blog de François, en me disant que le mois de mai à DDU, ça devait commencer à être sévère. Le fait est que la transition a été suffisamment douce pour que nous nous adaptions en douceur aux nouvelles conditions de lumière et de froid. Dans le fond, qu'est-ce qu'une sortie d'une heure par -20°C ? Rien du tout par rapport au métro bondé, aux embouteillages, à la pression quotidienne au travail, à la frénésie consumériste. Nous sommes d'immenses privilégiés, protégés de cette folle vie par 200 kilomètres de banquise et 1200 milles du plus redoutable des océans.

             Photo #2 : 22/05 : Sur la route du retour, lumière saisissante, bleu-gris. Sur l'horizon, la couche nuageuse est moins épaisse et laisse deviner un coucher de Soleil au large.

Photo #3 : 22/05. Formation de glace à Cap Prud'homme. La falaise du glacier révèle une structure très tourmentée des couches de glace, certaines très riches en débris rouges/noirs (cailloux, poussières) arrachés au continent, d'autres très compactes et pauvres en bulles d'air, prenant une couleur très bleutée.

Photo #4 : 22/05. A mi-chemin entre DDU et Prud'homme, un berg s'élève, aux formes étonnantes. Certains y voient une déferlante, d'autres d'immenses orgues.

Photo #5 : 23/05. Coucher de Soleil et lever de Lune sur le continent. Magique.

Photo #6 : 25/05. Lever de Soleil dans un calme absolu.

Photo #7 : 25/05. Dans le Soleil levant, un groupe de femelles Empereurs se dirigent vers le large.

Photo #8 : 23/05. Vue sur l'archipel. Les congères forment des structures très esthétiques, géométriques. Au premier plan, le Capricorne et les Poissons. Au second plan, l'île du Sagittaire. Au fond à gauche, l'île du Gouverneur.

Photo #9 : 21/05. Retour à la base avec mes deux compagnons du jour.

Photo #10 : 23/05. L'occupation dominicale favorite des Adéliens : la balade sur la banquise.

Photo #11 : 21/05. Manchotière dans la tourmente.

Photo #12 : 25/05. Certains manchots sont incroyablement curieux et viennent nous observer, à quelques dizaines de centimètres. C'est le cas de ces deux-là.

Comments

[souyi]

les phtoos sont merveilleuses ces paysages font rever!